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ReportageÉcologie et quartiers populaires

Quartiers populaires : « On est les oubliés des discours sur le changement climatique »

En haut, de g. à d. : Allycia, Aymen Hamidi, Dylan, Rania Daki et Assala Rharbi.

Injustice climatique, enjeux pour leur territoire... Cinq jeunes de quartiers populaires expliquent leur rapport à l’écologie, à l’occasion du Climat Libé Tour, coorganisé par Banlieues climat à Paris et Saint-Ouen fin mars.

Rania : « On est les oubliés des discours sur le changement climatique »

Rania Daki, 21 ans, d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). © NnoMan Cadoret/Reporterre

« J’étais déjà sensible à la question du changement climatique mais, en même temps, cela me paraissait éloigné de ma réalité, un truc de bobos-écolos. Quand j’ai découvert l’association Banlieues climat, où je suis formatrice en parallèle de mes études d’ingénieure, ça m’a tout de suite parlé.

Dans les quartiers populaires, notre cadre de vie n’est pas conforme à ce que devraient être les villes dans le cadre d’une société écolo : on subit de la pollution visuelle, sonore, de l’air. Il y a du béton et des voitures partout, ce qui n’est pas le cas dans des territoires plus aisés. On est les oubliés des discours sur le changement climatique.

La question de notre représentation est donc très importante : il faut que les personnes qui sont les premières victimes de la crise écologique puissent s’exprimer. Les riches sont ceux qui polluent le plus et qui, pourtant, vont voir leur environnement s’améliorer plus que les autres. Et ce, alors que dans les quartiers populaires, bien souvent, les habitants ont déjà des pratiques écolo : faire de la récup’, etc.

La lutte écologiste est donc une lutte sociale, mais aussi une lutte féministe, décoloniale, antiraciste. On ne peut pas faire de l’écologie qu’à destination d’hommes blancs et riches, et oublier le reste de la population. Sinon, ça n’est pas de l’écologie. »

Allycia : « La pollution tue »

Allycia, 21 ans, des Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). © NnoMan Cadoret/Reporterre

« Je fais un service civique chez l’association Unis-Cité, et je suis engagée auprès de Makesense, une structure qui a des liens avec Banlieues climat. Avant toutes ces expériences, j’avais un rapport neutre, incomplet à l’écologie. À présent, j’ai conscience que c’est un enjeu qui touche tout le monde, et j’ai envie d’agir.

Dans le 93, il y a très peu d’espaces verts, tout est très bétonné. La pollution est aussi ultra-développée, et il y a des maladies liées à ça : je connais des personnes qui n’étaient pas asthmatiques mais qui, ces dernières années, le sont devenues. Elles disent que la pollution les tue, et c’est un phénomène qui s’est accéléré. Et puis, il y a aussi toutes les maladies que l’on aura plus tard mais que l’on n’identifie pas encore aujourd’hui. Ce n’est pas la même chose dans les territoires les plus riches : ça me révolte. Avec les JO (Jeux olympiques) à Paris et en Seine-Saint-Denis, les pouvoirs publics ont mis en place des mesures pour lutter contre la pollution de l’air. Mais, quand ça ne concerne que les habitants du 93, il n’y a rien qui se passe. »

Aymen : « La situation écologique dans les quartiers populaires est liée à l’injustice sociale »

Aymen Hamidi, 24 ans, de Strasbourg (Bas-Rhin). En 2000, son année de naissance, la concentration en CO2 dans l’atmosphère était de 369 PPM, comme il l’écrit sur sa main. Aujourd’hui, elle a dépassé les 419 PPM. © NnoMan Cadoret/Reporterre

« J’ai rencontré Féris Barkat [cofondateur de Banlieues climat] dans mon quartier, le quartier Hautepierre, à Strasbourg, avant même que l’asso ne soit lancée. Après, je suis allé en prison. Un jour, mon voisin de cellule était en train de trier ses déchets. Je lui ai demandé pourquoi, et on s’est mis ensemble à discuter de tout ça. Ensuite, le gars qui ramassait les déchets nous a dit que ça ne servait à rien de trier, qu’il jetait tout au même endroit…

Quand je suis sorti de prison, j’ai retrouvé Féris, et je suis devenu formateur pour Banlieues climat. L’idée n’est pas d’avoir une posture de prof un peu relou, mais de m’adapter à chaque fois à mon auditoire. Si demain tous les jeunes de banlieue sont formés à l’écologie et se battent pour que la France soit un pays écolo, ça peut avoir beaucoup d’effets. Comme le dit Médine [un rappeur], “la banlieue influence Paname, Paname influence le monde”.

La situation écologique dans les quartiers populaires est liée à l’injustice sociale, et à des choix conscients de dirigeants, de grandes entreprises, de faire souffrir certaines personnes plus que d’autres. C’est eux qui décident d’implanter leurs usines à côté de certains territoires. En fait, c’est comme pour l’Afrique, à une plus petite échelle : c’est le continent qui pollue le moins et, pourtant, c’est elle qui subit le plus les conséquences de la pollution.

L’écologie ne peut être que sociale, féministe, antiraciste et décoloniale : la nature, ça n’est pas que le ciel, l’eau, etc., c’est aussi les humains. Que l’on soit arabe, noir, blanc, un homme, une femme, il n’y a pas de différence entre nous, on est tous la nature. Le combat écologique doit être celui de tout le monde. Cela ne va pas se faire en 1 ou 2 jours, mais si l’on se bat, que l’on patiente, on peut y arriver. »

Assala : « Si on ne prend pas la question en main, rien ne changera »

Assala Rharbi, 23 ans, de Bondy (Seine-Saint-Denis). © NnoMan Cadoret/Reporterre

« Je suis assistante d’éducation et animatrice périscolaire. Je ne pensais pas avoir de rapport de près ou de loin avec l’écologie mais, avec la découverte de Banlieues climat, auprès de qui je suis formatrice depuis octobre 2023, les connexions se sont faites dans mon esprit. En fait, j’ai toujours fait de l’écologie : avant, j’habitais au-dessus de La Recyclerie de Bagnolet. Je recyclais déjà mes vêtements, je faisais de la récup’… Je sais à présent que je suis légitime à dire que je suis une jeune femme de banlieue engagée dans l’écologie.

Je ne fais donc pas ça que pour moi, mais pour toutes les femmes de banlieue qui ne sentent pas légitimes à le faire. Pendant longtemps, j’ai eu l’impression que je ne maîtrisais pas les bons termes, le bon vocabulaire. Mais, en fait, ce n’est pas parce que je n’ai pas fait Sciences Po que je ne peux pas m’exprimer sur ce sujet qui me concerne et pour lequel j’agis directement.

Je ne sais pas si j’attends des mesures de la part de l’État ou bien des nôtres : on aura beau demander des choses aux politiques, si de notre côté, on ne prend pas la question en main, rien ne changera. J’attends des nôtres de s’approprier cette légitimité et de réclamer ce qui nous est de droit. »

Dylan : « Une question de riches et de pauvres »

Dylan, 22 ans, de Bagneux (Haut-de-Seine). © NnoMan Cadoret/Reporterre

« Je dirige l’association Une voie pour tous, qui travaille en lien avec Banlieues climat. C’est évident qu’il y a moins de moyens investis par l’État pour lutter contre la crise écologique dans les quartiers populaires, mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. Par exemple, chez moi [à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine], il n’y a pas spécialement de problème de pollution de l’air, mais plus des problématiques liées à la salubrité des bâtiments.

En fait, il ne s’agit pas tant d’une question de quartiers populaires que d’une question de riches et de pauvres. Dans le nord de la France par exemple, dans des zones pas forcément urbaines, tout le monde a des problèmes de santé. Cela est lié à l’histoire de l’organisation géographique de la France, avec des territoires où ont été implantées des usines ultrapolluantes, mais qui, en même temps, font vivre les habitants vivant à proximité. Les questions écologiques et sociales sont donc liées, et il y a aujourd’hui un vrai enjeu de réparation, tant sur le plan humain que financier, des populations qui ont pu être victimes de près ou de loin de ces sujets-là. »

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