Crues, inondations : faut-il repenser les risques liés à l'eau ?

Employés municipaux à Neuville-sous-Montreuil, dans une rue inondée du nord de la France, le 13 Novembre ©AFP - Denis Charlet
Employés municipaux à Neuville-sous-Montreuil, dans une rue inondée du nord de la France, le 13 Novembre ©AFP - Denis Charlet
Employés municipaux à Neuville-sous-Montreuil, dans une rue inondée du nord de la France, le 13 Novembre ©AFP - Denis Charlet
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Dans le Pas-de-Calais, après des jours de précipitations supérieures aux normales de saison, les habitants ont les pieds dans l’eau. Les crues, les inondations semblent de plus en plus nombreuses. Comment gérer ces risques ? L'effort est-il efficace ou sommes-nous condamnés à toujours nous adapter ?

Avec
  • Eric Daniel-Lacombe Architecte
  • Emma Haziza Hydrologue, fondatrice et présidente de Mayane

Le Pas-de-Calais est placé depuis plusieurs semaines en vigilance météo orange, les risques d'inondations et de crues se succédant. Durant les premières semaines de novembre, 250 millimètres d’eau sont tombés dans le département, bien plus que les moyennes de saisons habituelles. Les deux tempêtes Ciaran et Domingos se sont succédé et ont saturé les sols. De nombreuses maisons ont été évacuées, des récoltes agricoles ont été fortement endommagées. Comme à chaque crue, les dégâts matériels sont extrêmement coûteux.

Le dérèglement climatique provoque une intensification des périodes de précipitations. Afin d’y faire face, des politiques d’aménagement du territoire peuvent être mises en place, en terres rurales comme urbaines. L’élargissement des champs, la suppression des haies, la très forte bétonisation sur l’entièreté du territoire : autant d’éléments qui favorisent l’imperméabilisation des sols et le mauvais écoulement des eaux fluviales.

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Nîmes inondée en 1988, un déclic national

Les inondations de Nîmes en 1988 ont provoqué un déclic. Les images de la ville en crue furent un choc, elles montraient la possibilité de l'accident. Suite à cela, la ville fut la première à avoir son propre système d'alerte, à l'échelle de la ville et non sur l'existant au niveau national ; elle en est devenue un exemple mondial. L'hydrologue Emma Haziza souligne que la commune a surtout démarré de grandes stratégies sur la réduction de vulnérabilité : au lieu de travailler sur l'aléa ou la menace, au lieu d'essayer de se préserver avec des digues qui ont toujours des failles, des trous à combler, voire un bout qui lâche, on va travailler sur l'enjeu. Cela signifie aborder le sujet par l'analyse de la hauteur d'eau possible en vue de l'adaptation du bâti, les maisons individuelles comme les entreprises. "Nîmes a été l'un des grands premiers à l'avoir fait en France."

On apprend de ses erreurs et on observe le réel. Pour le maire et architecte Éric Daniel-Lacombe, il faut associer les textes et interdictions de l'État à la connaissance du terrain par les maires. Il a ainsi revu l'aménagement du centre-ville de Romorantin (41), suite à quoi l'agglomération a résisté à une crue de 1m50 du Cher. Oui, le maire est de formation architecte, mais la chose à retenir ici est de faire avec la nature, ne pas chercher à contrôler via les habituelles digues, mais consacrer (et non abandonner) un espace à 80 % inondable au risque d'inondation. Le jour de la crue venu, le système est efficace.

Plusieurs niveaux de crues et d'adaptation ?

Emma Haziza catégorise la possibilité de montée des eaux en trois niveaux de risques à envisager et de réponses à donner :

Premier cas : environ 50 cm d'eau, l'inondation peut être contrôlée "via des systèmes qui occultent l'entrée de l'eau", afin de protéger ce qui se retrouve exposés suite à de possibles erreurs d'aménagements passés. Cela est possible par exemple pour les quelques 200.000 maisons du Val de Loire et plus largement pour les 17 millions d'habitants en zones inondables en 2023.

Deuxième cas : passé un certain niveau, l'humain est en jeu, la construction du bâtiment refuge doit alors être envisagé, le lieu sera inondé, mais un refuge en hauteur du bâtiment est possible

Troisième : la protection de l'humain sur place est impossible, en d'autres mots, l'eau peut aller tellement haut que les personnes doivent être délocalisées, avec un accompagnement psychologique et financier des personnes ajoute l'experte.

Condamnés à s'adapter perpétuellement ?

On peut toujours s'adapter à un risque donné mais avec le réchauffement climatique, les tempêtes et les pluies diluviennes, la prise de risque semble changer tout le temps. Faudra-t-il donc continuellement revenir sur les mêmes lieux pour les réévaluer ? "Ce qu'on vient d'apprendre : on vivra toujours entre deux tempêtes" rappelle l'architecte Éric Daniel-Lacombe.

Ainsi, la tempête Aline vient de repasser trois ans après sur la tempête Alex... Cela n'existait pas au siècle dernier. Il regrette qu'on ait aujourd'hui seulement deux entrées avec la nature : le tourisme et l'alimentation. "Hormis ces deux choses-là, on ne cherche pas de chemin pour se dire : Qu'est-ce que pour un habitant parisien, de Nîmes ou de Saint-Martin, on pourrait faire avec la nature ?". Si on n'y ajoute pas la donnée 'population', il craint que les maisons ne reviennent sur des endroits aujourd'hui évités sinon interdits à la construction.

L'hydrologue nuance cette éventualité en rappelant que les inondations de 1988 ont réveillé les consciences et modifié les lois : construire dans le lit des rivières est aujourd'hui impossible. "Certaines communes ont des Plans de Prévention Risque Inondations qui couvrent tellement la commune qu'elles ne peuvent même pas agrandir leurs cimetières". Pour elle, les politiques mises en place en France ont 20 ans d'avance sur d'autres pays comme le Canada, l'hexagone est pour l'hydrologue au niveau des Pays-Bas, un État réputé pour son approche de la prévention des inondations.

Écoutez la discussion autour de la gestion des risques de crues en France, avec l'hydrologue Emma Haziza et l'architecte Éric Daniel-Lacombe au micro de Fabienne Sintès.

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