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ReportageSéries d’été 2022

À Noirmoutier, la vie avant de couler

L’île de Noirmoutier, située aux deux tiers sous le niveau de la mer, est condamnée par la montée des eaux. En attendant, la population apprend à vivre avec des risques accrus d’inondation. [SÉRIE 2/4]

Île de Noirmoutier (Vendée), reportage

« Ça me semble un peu illusoire de trop investir sur l’île. J’ai dit à mes filles : "Quand vous en hériterez, gardez la maison si elle vous plaît, mais sinon, vendez-la rapidement avant qu’une inondation ne fasse baisser les prix." » Alain Andromaque vit à Noirmoutier, dont les deux tiers du territoire se situent sous le niveau de la mer. Sur cette île située au large de la Vendée, et qui accueille près de 10 000 habitants à l’année et 100 000 l’été, l’océan a toujours constitué à la fois une menace et un atout.

Noirmoutier, « c’est un énorme cordon sableux qui fait face à l’océan, explique Axel Creach, maître de conférences en géographie à Sorbonne université. Derrière, il y a toute une zone basse qui a été poldérisée. Ce sont des zones où la mer viendrait à chaque grand coefficient de marée si elles n’étaient pas protégées par l’Homme. » Cette spécificité a permis l’implantation de marais salants, qui, avec les pommes de terre, font la renommée de l’île.

Les marais salants font la renommée de l’île. © Maïwenn Lamy / Reporterre

En contrepartie, Noirmoutier n’a pas attendu le changement climatique pour essuyer de nombreuses catastrophes naturelles. En 1937, une violente tempête avait quasiment coupé l’île en deux. « Un truc monstrueux par rapport à Xynthia », souligne Axel Creach. En 2010, la tempête Xynthia a plus tard causé la mort de 42 personnes en Vendée et en Charente-Maritime, le département voisin, épargnant relativement l’île de Noirmoutier. Autre année mémorable, 1978, quand une digue a rompu et que 500 hectares de polder ont été submergés pendant plusieurs jours. Cela entraîna des dégâts sur les cultures et les élevages plusieurs années durant. Heureusement, la zone n’était pas habitée et les dommages ont donc été limités.

À Noirmoutier, les sociétés humaines mènent ainsi « une lutte permanente face à la mer. Il faut tenir ce territoire », résume Marc Robin, responsable scientifique de l’Observatoire régional des risques côtiers des Pays-de la Loire.

Jusqu’à 80 cm de hausse du niveau de la mer

Seulement, le changement climatique vient accroître les risques de submersion marine qui pèsent sur l’île. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le niveau de la mer devrait augmenter d’environ 43 centimètres d’ici à 2100 dans le scénario de faibles émissions de gaz à effet de serre, et de plus de 80 centimètres dans le scénario de fortes émissions.

Côté est de l’île, de nombreuses digues protègent le territoire. Ici, la digue aperçue en arrivant par le passage du Gois, route accessible uniquement à marée basse, protège le polder de Sébastopol. © Maïwenn Lamy / Reporterre

« Aujourd’hui, il n’y a aucune tendance claire qui permette de dire que la fréquence des tempêtes va augmenter dans le bassin atlantique nord. Par contre, si on ajoute un mètre de niveau marin, une tempête comme Xynthia fera des dommages plus importants, c’est mécanique », explique Axel Creach, dont les recherches ont notamment porté sur la vulnérabilité de l’île aux risques de submersion marine.

En plus d’entraîner l’inondation des secteurs les plus bas, la hausse du niveau marin favorise l’érosion des côtes, et notamment des cordons dunaires qui protègent une large partie de la façade ouest de cette île vendéenne, la plus exposée aux vents et aux tempêtes.

Dominique Chantoin devant un épi construit en 2015 pour limiter l’érosion de la plage de la commune de l’Epine. © Maïwenn Lamy / Reporterre

En outre, selon une étude parue en 2021 dans Les Cahiers nantais, revue de l’Institut de géographie et d’aménagement de Nantes université, près de la moitié du bâti de l’île serait située sous le niveau de la mer en cas de tempête de type Xynthia. En 2100, cette proportion pourrait atteindre près de 60 % en raison de la montée du niveau marin. À la fin du siècle, 40 % du bâti serait même susceptible de subir un mètre ou plus d’inondation.

« Nous n’avons pas d’autre choix que d’essayer de résister »

Face à ce constat, les options des Noirmoutrins sont limitées. « Il y a la théorie du retrait stratégique. Là, on est sur une île. Nous n’avons pas d’autre choix que d’essayer de résister », dit Dominique Chantoin, président divers droite de la communauté de communes de Noirmoutier depuis 2020. « La seule solution, c’est de renforcer les défenses actuelles », abonde Marc Robin.

Celles-ci se trouvent principalement le long de la côte est de l’île, plus abritée que l’ouest grâce à la baie de Bourgneuf.

Les actions de la communauté de communes pour se protéger contre la submersion marine « ne datent pas d’hier », souligne Dominique Chantoin, certaines digues ont même plusieurs siècles. La tempête Xynthia a tout de même suscité une prise de conscience chez les pouvoirs publics. C’est après cet événement tragique que plusieurs actions visant à adapter le territoire au risque submersion ont été prises. Un Programme d’action de prévention des inondations (Papi) couvre ainsi la période 2013-2023 et un Plan de prévention des risques littoraux (PPRL) a vu le jour en 2015.

Ce lotissement a été construit sur la commune de La Guérinière après l’entrée en vigueur du PPRL, en 2015. Si le changement climatique avait été pris en compte, il n’aurait pas été possible de construire à cet endroit. © Maïwenn Lamy / Reporterre

La communauté de communes, qui pilote le Papi, se fixe comme objectif de rehausser l’ensemble des ouvrages de protection à 5,05 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette hauteur correspond au niveau atteint lors de la tempête Xynthia en 2010, soit 4,2 mètres, plus 80 centimètres de hausse de niveau marin. « Au moins 80 % des zones à protéger le seront à la fin du programme » qui aura coûté au total près de 27 millions d’euros, se félicite Dominique Chantoin. Les concertations pour l’élaboration d’un nouveau Papi débuteront en 2023, pour une entrée en vigueur l’année suivante.

Le PPRL, document élaboré par l’État, suscite plus de polémiques. Cet outil cartographie les risques de submersion marine et réglemente notamment l’urbanisation des zones exposées. Celui de Noirmoutier est, à la connaissance des interlocuteurs contactés par Reporterre, le seul PPRL en France ne prenant pas en compte le réchauffement climatique. Résultat, des zones qui seront inondables dans quelques décennies sont actuellement constructibles. Une aberration dénoncée par l’association locale de protection de l’environnement, Vivre l’île 12 sur 12, membre de France Nature Environnement.

Grâce aux épis et autres renforts installés depuis 2015, la dune, qui s’était érodée, commence à se reconstituer, plage de l’Epine. © Maïwenn Lamy / Reporterre

« En 2012, les services de l’État ont présenté un PPRL aux élus [de la communauté de communes] qui l’ont rejeté catégoriquement », s’indigne Annick Damour, présidente de l’association. Le motif : la circulaire de l’État qui demande de calculer le PPRL en fonction de l’augmentation du niveau de la mer est postérieure à ce document. Le PPRL a donc été révisé pour aboutir à la version actuelle, qui est entrée en vigueur en 2015. « C’est très grave ! On se retrouve avec des zones inconstructibles en 2012 qui se retrouvent constructibles aujourd’hui. Les collectivités peuvent donner des permis de construire en toute impunité », poursuit Annick Damour.

Alain Andromaque, vice-président de l’association, est un parfait exemple de cette incohérence. Lorsqu’il projetait de construire une extension, entre 2012 et 2015, l’architecte lui a expliqué qu’il faudrait surélever le bâtiment. En 2015, son terrain passait finalement en zone blanche, considérée sans risque, et l’extension a pu être construite sans précaution particulière. « Tout va bien », ironise-t-il.

Le polder de Sébastopol, plus bas que le niveau de la mer à marée haute, a été inondé pendant plusieurs jours en 1978. © Maïwenn Lamy / Reporterre

Toutefois, la révision de ce PPRL devrait bientôt débuter, selon la communauté de communes, et le document devra cette fois prendre en compte le changement climatique. « Beaucoup de terrains risquent de passer en zone rouge », soit en zone non constructible, reconnaît Patrice de Bonnafos, vice-président de la communauté de communes en charge de la sécurisation des populations et des biens face à la mer.

« Cela provoque des réactions forcément difficiles du côté de la population. Si vous aviez un peu de réserve foncière à transmettre à votre enfant, c’est fini », analyse Marc Robin.

À terme, l’île de Noirmoutier est vouée à disparaître sous les eaux. © Maïwenn Lamy / Reporterre

« Le fait que ce soit un territoire exposé au risque, ça n’est pas forcément grave du moment que les populations le savent », estime Axel Creach. C’est précisément là que réside le problème. Avec l’arrivée massive du tourisme dans les années 1960 et 1970, le profil de la population a changé. « On est passé d’une population qui vit de la mer à une population qui voit la mer », et qui est forcément moins sensibilisée aux risques auxquels le territoire est exposé, dit le chercheur.

À terme, l’île disparaîtra, explique Axel Creach : « C’est trop fragile d’un point de vue morphologique pour avoir une durée de vie qui excède 500 ans. » Le dilemme, pour les populations qui y résident, est de décider quoi faire à plus court terme. Pour le chercheur, « il faut laisser vivre ces territoires qui ont plein d’atouts ». À en juger par le marché de l’immobilier sur la commune de Noirmoutier-en-l’Île, où le prix des maisons a augmenté de 26 % entre 2021 et 2022, le choix est déjà fait.



Vous lisez le deuxième volet de notre enquête « Le littoral, du paradis au cauchemar climatique ».

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