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ReportageLa balade du naturaliste

À la rencontre des araignées, ces mal aimées

L’aranéologue Christine Rollard cherchant des araignées dans les bois de Vincennes, en novembre 2022.

Elles sont petites, inoffensives, et pourtant on leur donne la réputation de bestioles repoussantes, voire dangereuses. En balade avec une aranéologue, on se penche sur l’univers soyeux des araignées.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.


Bois de Vincennes (Île-de-France), reportage

En ce mois de novembre, les arbres du bois de Vincennes sont parés de leurs teintes orangées. Le temps est brumeux. « C’est une chance, nous verrons mieux les toiles d’araignées avec la rosée », dit Christine Rollard, aranéologue et enseignante-chercheuse au Muséum national d’histoire naturelle. Quelques détails trahissent son affection pour ces petites bêtes : un bijou à l’effigie d’une araignée orne son oreille, tandis qu’une autre est dessinée sur un badge accroché à son gilet. Christine Rollard est une passionnée. Et elle aime déconstruire les préjugés qui collent à la peau des araignées.

L’aranéologue n’utilise d’ailleurs que des termes élogieux pour les décrire : « On les dit poilues, mais je préfère dire soyeuses. Elles sont recouvertes de diverses soies qui les rendent très douces. » Elle ajoute que si beaucoup d’idées reçues courent sur les araignées, « elles n’attaquent jamais l’humain. Elles ne mordent qu’en dernier recours pour se défendre et leur venin n’est pas dangereux pour nous, sauf dans de très rares cas ». Toujours prête à déconstruire nos présupposés, la scientifique accompagne parfois des personnes souffrant d’une phobie des araignées, et fait de nombreuses animations pour le grand public. « C’est important pour un chercheur de transmettre ses connaissances, dit-elle. Au-delà des araignées qui souffrent d’un “délit de sale gueule”, je cherche à faire découvrir leur monde avec un autre regard. Et à transmettre qu’il faut respecter les autres organismes. »

L’aranéologue Christine Rollard à la recherche d’araignées dans les bois de Vincennes. ©Mathieu Génon / Reporterre

Plutôt qu’à la loupe, c’est dans leur milieu naturel qu’elle préfère observer ces arthropodes. « On les trouve sur n’importe quel support. Elles ne sont pas inféodées à un type de fleurs ou d’arbres. Mais pour les voir, il faut ouvrir les yeux et habituer son regard à chercher quelque chose de petit », dit-elle en balayant le paysage de ses yeux clairs. À l’entrée du bois, il lui suffit de quelques pas pour apercevoir une première toile, accrochée sous un panneau de la ville de Paris. Elle s’en approche et l’asperge d’eau avec son vaporisateur rose pour mieux la discerner. « La forme de la toile nous renseigne sur la famille et parfois l’espèce, explique-t-elle. On voit que cette toile est symétrique. Il y a un fil tendu à partir du centre, à l’endroit où une portion de la spirale manque. C’est typique d’une Zygielle. »

Une Épeire diadème trouvée par Christine Rollard portant une bague à l’effigie des araignées. ©Mathieu Génon / Reporterre

On suit des yeux le fil tendu pour tenter de voir la bête, mais celle-ci ne laisse entrevoir qu’une patte, bien cachée dans un creux de la structure métallique. Tout près, des fils de soie s’agencent de façon désordonnée. C’est un autre type de toile, dite en réseau. De nombreuses formes existent car les araignées, loin de ne faire que des toiles circulaires, tissent en tube, en nappe, en réseau...

Christine Rollard précise également que beaucoup ne construisent pas de toiles-pièges. Certaines, comme les araignées-loups, chassent en courant après leurs proies, tandis que d’autres attendent patiemment à l’abri qu’une proie s’approche pour leur sauter dessus. Elle ajoute, en montrant les nombreux fils qui virevoltent autour du panneau, que « l’araignée produit aussi des fils de déplacement, qu’elle utilise pour traverser et aller d’un endroit à un autre. Parfois elle vole à l’aide de fils qui se dévident, en se laissant porter par le vent ».

Toile géométrique typique de la Zygielle. ©Mathieu Génon / Reporterre

« Soyeux, sensoriel, sensitif et solitaire »

L’aranéologue en connaît un rayon. « C’est une passion qui m’est tombée dessus par hasard, raconte-t-elle. Petite, j’aimais avant tout observer la nature, et c’est en fac des sciences que je me suis retrouvée à étudier les insectes qui parasitent les araignées. Là, j’ai découvert tout un monde. » Un monde étonnamment riche, puisqu’il existe 1 750 espèces en France et plus de 50 000 dans le monde. Très différentes d’une espèce à l’autre, les araignées ont des formes, des couleurs, mais aussi des modes de vie extrêmement divers. On les range souvent à tort parmi les insectes, mais ce sont des arachnides (comme les scorpions et les acariens) et elles sont dotées de quatre paires de pattes — et non trois comme les insectes.

Pour preuve, près d’un ruisseau, sur une végétation basse dominée par l’ortie, la naturaliste déploie son filet fauchoir et fauche les herbes dans un mouvement de va-et-vient. Dans le filet, quelques araignées ont été attrapées, toutes différentes. L’une court, visiblement agitée. Elle est brune avec une bande jaune sur le céphalothorax : une Pisaure admirable. C’est une espèce qui aime les endroits où poussent les orties. Adulte, elle chasse ses proies à l’affût ou en errant, au sol ou sur la végétation. Une autre araignée, immobile, se fait plus discrète, mais elle n’a pas échappé à l’œil de la spécialiste : « Celle-ci est toute recroquevillée sur elle-même. Elle fait la morte. C’est une araignée-crabe de la famille des Thomisidae et du genre Xysticus. Elle ne tisse pas de toile et chasse à l’affût. »

Araignée-crabe (genre Xysticus). ©Mathieu Génon / Reporterre

Juste à côté, une autre Xysticus, de couleur noire, se fait attraper et inspecter à la loupe. Elle a ses quatre paires de pattes et à l’avant, deux appendices qu’on appelle pédipalpes. Ici, l’extrémité de ces pédipalpes se renfle en deux boules : ce sont les bulbes copulateurs que le mâle insère dans l’orifice de la femelle. Pendant qu’on la scrute minutieusement, l’araignée mâle lève une patte et se tient en équilibre. « C’est pour sentir son environnement et voir d’où vient le vent. Les araignées ont des soies partout sur et au bout de leurs pattes, ce qui les rend extrêmement sensorielles. J’aime à dire que leur univers suit les 4 S : soyeux, sensoriel, sensitif et solitaire », dit Christine Rollard.

Comme d’autres petites bestioles, les populations d’araignées ne se portent pas bien. Le Groupe ornithologique et naturaliste du Nord-Pas de Calais a mené une étude sur les espèces présentes dans la région : sur les 506 espèces recensées, 14,2 % sont classées comme menacées. En Suisse, des chercheurs ont montré que la densité de population de l’épeire diadème est 140 fois plus basse qu’il y a 40 ans.

Le filet fauchoir permet de capturer un instant les petites bêtes. ©Mathieu Génon / Reporterre

« Il ne faut pas imaginer une araignée énorme »

Sous un arbre, Christine Rollard déplie un autre outil du naturaliste : le parapluie japonais, carré de toile fixé sur une armature. Elle secoue les branches et fait tomber les petites bêtes sur la toile blanche. Encore une fois, la diversité d’échantillons récoltés nous donne à voir l’univers coloré des araignées. L’Anyphène à chevrons, de couleur gris-jaune, côtoie l’Épeire conique, brune et à l’abdomen pointé vers le haut. La particularité de cette dernière est qu’elle signe sa toile avec des débris végétaux pour se cacher des prédateurs. Une autre araignée attire l’œil : un Thomise tricolore, araignée-crabe à la couleur verte et orangée. Saisie délicatement, une tétragnathe court le long de la main de Christine Rollard et se suspend dans le vide, accrochée sur son fil de soie. En étirant ses pattes, elle prend l’aspect d’une brindille, sa manière de se rendre invisible aux prédateurs.

Christine Rollard fait vibrer un diapason près de la toile pour inciter l’araignée à sortir. ©Mathieu Génon / Reporterre

Puis une deuxième fauche dans les ronces, au filet fauchoir, nous fait contempler la plus grosse prise de la journée : l’Épeire diadème avec ses 10 mm de longueur. Fascinante avec sa couleur orangée ornée de rayures noires et de taches blanches en croix, elle ne paraît pas très vivace. Elle s’agrippe avec ses petites griffes à la peau qu’on lui tend puis retombe sans faire de fils. « Elle est sûrement en fin de vie, constate la spécialiste, on peut voir qu’il lui manque une patte sur le côté droit. Parfois, l’araignée casse sa patte volontairement pour s’échapper quand un prédateur la lui agrippe. Cette patte repousse à la mue suivante. » Les araignées font entre 5 et 15 mues, selon l’espèce. La majorité ne vit qu’un an, mais certaines peuvent vivre une dizaine d’années comme la mygale à chaussette. Chaque araignée a son cycle. Certaines ont leur période de reproduction au printemps, d’autres en été ou à l’automne, plus rarement en hiver.

Dans le bois de Vincennes, on ne verra pas la fameuse mygale à chaussette, que l’on peut rencontrer en sous-bois. « Il ne faut pas imaginer une araignée énorme, précise la naturaliste, même si on a souvent peur des mygales, celle-ci est toute petite (1 cm de taille) et n’est pas dangereuse. » De quoi voir d’un autre œil ces petites bêtes mal aimées.


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