New Delhi, le souffle court : portraits d’Indiens qui se battent pour respirer

Krishna et son épouse ne se voient pas vivre dans cette pollution toute leur vie. - Giv Anquetil
Krishna et son épouse ne se voient pas vivre dans cette pollution toute leur vie. - Giv Anquetil
Krishna et son épouse ne se voient pas vivre dans cette pollution toute leur vie. - Giv Anquetil
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Pour la 4ème année consécutive, New Delhi a été classée capitale à l’air le plus pollué au monde. Qu’ils soient médecin, mère de famille, étudiant, environnementaliste, et même entrepreneur, ils sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir subir chaque année ce triste record.

Un reportage signé Giv Anquetil

C’est un indicateur que l’on suit chaque jour à Delhi plus assidûment encore que la météo : la quantité de particules microscopiques en suspension dans l’air. Et en particulier celles qui font 2,5 millièmes de millimètres (qu’on appelle les PM2,5). Car ces aérosols qui passent dans les poumons puis le sang, sont responsables de la mort de plus d’1,6 million d'Indiens chaque année.

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Les habitants de Delhi cherchent un nouveau souffle
Les habitants de Delhi cherchent un nouveau souffle
- Giv Anquetil

“La pollution de l’air, c’est un tueur lent et silencieux” explique le docteur Arvind Kumar, président de l’Institut de chirurgie thoracique et fondateur de la Lung Care Foundation, qui œuvre pour sensibiliser aux conséquences de cette pollution endémique. “A Delhi, un bébé respire l’équivalent de 12 cigarettes par jour dès le premier souffle”.

Dr Arvind Kumar spécialiste de la greffe de poumons et membre de la Clean air campaign
Dr Arvind Kumar spécialiste de la greffe de poumons et membre de la Clean air campaign
- Giv Anquetil

Et le problème ne se limite pas à Delhi : sur les 50  villes les plus polluées au monde, 35 se trouvent en Inde. Majoritairement dans cette région du nord. “98% des Indiens respirent un air impropre à la consommation” poursuit le docteur qui voit des patients de plus en plus jeunes arriver pour des cancers des poumons. C’est pourquoi je dis que la pollution de l’air est aujourd’hui une urgence nationale”.

La Delhi Smog Tower, inefficace et coûteuse pompe à pollution
La Delhi Smog Tower, inefficace et coûteuse pompe à pollution
- Giv Anquetil

Les causes de ce phénomène sont connues et multiples : la géographie, la circulation, les chantiers de construction, les industries, les centrales au charbon et le chauffage au bois des plus modestes, ou encore et les brûlis agricoles… Et chaque hiver, on voit les mêmes images de fumées toxiques étouffant la ville et ses habitants, alors que les autorités de Delhi ont installé dans la rue des “smog towers”: des purificateurs d’air géants qui – au mieux - brassent de l’air.

A Delhi, les foyers les plus aisés sont tous équipés de purificateurs d'air
A Delhi, les foyers les plus aisés sont tous équipés de purificateurs d'air
- Giv Anquetil

En attendant, cela fait les affaires de Barun Aggarwal, qui présente fièrement sa société Breathe Easy Labs (les laboratoires “Respirez facile”) comme “la première compagnie en Inde pour la qualité de l’air intérieur”. Car après le climatiseur, le filtre à air est devenu le must-have des foyers aisés : “Nous garantissons un air de qualité Suisse”... moyennant un coût de 2000€ par pièce équipée de ses pompes à pollution. Il peut aussi équiper les voitures, et propose même des masques anti-covid avec moteur et filtre anti-pollution  portatif !

Car la pollution de l’air est aussi un marché, mais auquel seule une minorité à Delhi peut accéder. Ce qui a le don d’énerver Bhavreen Kandhari, des  Warrior Moms, une association de mères en colère qui vont au combat. “Mes jumelles viennent de fêter leurs 18 ans, et tout ce que j’ai pu leur offrir ce sont des poumons noirs”. Alors ces “mères combattantes” poursuivent les responsables des émissions toxiques à l’échelon local. Car il existe tout un arsenal de lois environnementales -assez strictes, mais qui ne sont tout simplement pas appliquées. Par négligence ou par corruption.

Devant une Smog Tower, inefficace et coûteuse pompe à pollution, Aditya Dubey et Give Anquetil.
Devant une Smog Tower, inefficace et coûteuse pompe à pollution, Aditya Dubey et Give Anquetil.
- Giv Anquetil

Mais il y a à Delhi un jeune étudiant qui a visé plus haut en encore, en trainant le gouvernement devant la Cour Suprême indienne. C’est un peu un “Greta Thunberg” Indien. Il s’appelle  Aditya Dubey et le procès qu’il a intenté a mené au confinement des 26 millions d’habitants de Delhi, menacés par le dépassement des niveaux d’alerte. Lui qui a commencé à 13 ans en vendant sa Play-station pour lancer une campagne “Plant a million trees” (avec 180 000 arbres plantés), a aussi fait condamner des multinationales comme Coca, Pepsi, Wallmart et Amazon à hauteur de 3 millions d’euros pour leur abus d’emballages plastiques. « Je viens d’avoir mon bac et ma mère s’inquiète pour mon avenir professionnel : j’ai déjà trainé en justice la plupart des entreprises à qui j’aurais pu envoyer mon CV...” Et si ses engagements lui ont déjà valu le prix de la fondation  Lady Di l’année dernière, il ne compte pas en rester là puisqu’il lance actuellement sa propre startup, où il travaille à un prototype d’appareil de captation carbone, capable de stocker 1 tonne de CO2/jour pour moins de 45€.

Vijay Dhasmana est le maître-d'oeuvre de la restauration de la forêt d'Aravalli.
Vijay Dhasmana est le maître-d'oeuvre de la restauration de la forêt d'Aravalli.
- Giv Anquetil

Alors pour finir cette galerie d’Indiens qui refusent de continuer à suffoquer, j’ai voulu aussi aller prendre un peu d’air. Dans une forêt urbaine avec celui qui l’a recrée. A Gurgaon, la ville limitrophe au sud de Delhi, près de 300 ha de terrains vagues, longtemps exploités comme des carrières, ont depuis 10 ans été réhabilités pour créer le  Parc de Biodiversité d’Aravalli. Et le travail coordonné par Vijay Dhasmana (qui se présente comme un « réensauvageur ») a été couronné de succès : au milieu d’une vraie jungle urbaine, la nature sauvage revit... Ça valait le coup de subir un nouvel embouteillage pour aller voir ça de plus près...

Réalisation : Clément Nouguier

Traduction : Padma Natarajan

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