Interview

Polluants chimiques et grossesse: «L’impact sur un fœtus peut se révéler dix, vingt ou trente ans plus tard»

PFAS, pesticides, phtalates... Quels risques les polluants chimiques présentent-ils pour l’enfant à naître? Et à quel moment de la vie des effets peuvent-ils se révéler? Entretien avec Robert Barouki, chercheur en toxicologie environnementale et membre du comité de recherche de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM).
par Aurore Coulaud
publié le 2 juin 2022 à 19h18

L’impact des facteurs environnementaux sur la santé (qualité de l’air intérieur et extérieur, de l’eau, des sols, exposition aux produits chimiques…) suscite des préoccupations croissantes. D’après l’OMS, ces différentes sources d’expositions sont responsables chaque année de 24 % des décès (soit 13,6 millions) et 25 % des pathologies chroniques dans le monde. Face à cet enjeu majeur de santé publique et à l’insuffisance des connaissances scientifiques en la matière, la Fondation pour la recherche médicale (FRM) s’est engagée à investir dans «l’axe stratégique et prioritaire Environnement et santé» en consacrant 9 millions d’euros à 19 projets de recherche. Ces derniers visent «à mieux comprendre l’impact des polluants et des perturbateurs endocriniens sur la santé et donc à mieux prévenir les risques d’exposition», et ce dès la grossesse. Entretien avec Robert Barouki, chercheur en toxicologie environnementale et membre du comité de recherche de la FRM.

La santé environnementale est un vaste sujet. Pourquoi se concentrer sur la période de la grossesse ?

Le développement du fœtus est une étape de vulnérabilité importante, là où se forment les organes du bébé et où il y a d’importantes modifications épigénétiques [changements dans l’activité des gènes, ndlr]. C’est donc, avec la petite enfance, un stade du développement de grande sensibilité aux polluants mais aussi au stress psychologique, social… C’est comme une maison qui est en train d’être construite, le moment où elle est la plus fragile face aux tempêtes. On va donc essayer de mesurer l’impact de ces facteurs environnementaux sur le fœtus dont les conséquences peuvent se révéler dix, vingt ou trente ans plus tard.

Pouvez-vous décrire les projets de recherche sélectionnés ?

Certains projets sont liés au placenta ou au liquide amniotique qui sont essentiels pour protéger le fœtus… Notre objectif est d’analyser l’impact des polluants sur ces barrières protectrices pour tâcher de prévenir les risques. On sait que certains produits chimiques tels que les molécules perfluorées (PFAS), présents partout dans l’environnement, peuvent rendre le placenta plus perméable et, par exemple, entraîner une augmentation du risque d’infection du fœtus par des virus. De même, les phtalates, que l’on retrouve notamment dans les emballages de produits cosmétiques et alimentaires, fragilisent la membrane et le liquide amniotique, et multiplient les risques d’accouchement prématuré. D’autres recherches se focalisent sur l’exposition environnementale du fœtus et ses conséquences à long terme, dans la vie adulte. Chez l’enfant ou le jeune adulte, on peut constater des allergies, des problèmes métaboliques (comme l’obésité), ou neurocomportementaux (QI, agitation…) dont l’origine remonte à une exposition lors de la grossesse.

Vous vous focalisez donc principalement sur les polluants chimiques…

Sur 100 000 substances chimiques dans le commerce européen, on ne connaît bien les propriétés toxicologiques et d’exposition que de seulement 0,5 % ! Et je ne parle pas des effets cocktails. Il y a de nombreuses lacunes dans ce domaine. Mais d’autres facteurs jouent sur la santé : le type d’alimentation, le stress psychologique de début d’enfance… Il faut garder une vision globale, ce qu’on appelle la vision exposome.

Le principe de précaution semble donc primordial.

Avec les données qu’on a, qui sont parfois parcellaires, on peut d’ores et déjà dire que certaines substances sont problématiques et il faut donc appliquer le principe de précaution. Pour voir l’effet d’une exposition, il faut attendre dix, vingt, trente ans, vous imaginez le temps qu’il faut à la recherche ! Par exemple, on s’intéresse beaucoup aux substances perfluorées (PFAS) qu’on retrouve notamment dans les ustensiles de cuisine antiadhésifs ou encore les emballages alimentaires. Ils ont la mauvaise idée d’être extrêmement stables dans l’environnement. Aux Etats-Unis, on les appelle les «forever chemicals» («produits chimiques éternels»). Ils ont des effets multiples sur la grossesse, la reproduction, le système immunitaire, le fonctionnement du foie, les maladies métaboliques… Quatre PFAS seulement sont aujourd’hui restreints ou interdits, mais il existe des milliers de substances perfluorées ainsi que des remplaçants dont on ignore encore presque tout. Un autre exemple est le bisphénol A. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) souhaite baisser les limites réglementaires d’exposition au bisphénol A de 100 000 fois. Mais il est déjà remplacé par du bisphénol S, bisphénol F… pas si différents du bisphénol A.

Que dire des phtalates et des pesticides ?

Certains phtalates ont été restreints, reste à voir si c’est bien appliqué. Ils ont eux aussi des remplaçants dont il est urgent d’étudier les effets possibles et possiblement problématiques. Côté pesticides, l’expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée récemment montre des effets bien confirmés pour certains pesticides (la famille des organophosphorés avec le chlorpyrifos et celle des pyréthrinoïdes), d’autres sont plus douteux.

Que faire ?

Parmi les bonnes pratiques conseillées par les spécialistes : ne pas chauffer de plat au micro-ondes dans une barquette en plastique, privilégier les bouteilles en verre, installer un filtre à eau sur les robinets ; pour les ustensiles de cuisine comme les poêles et les casseroles, utiliser des revêtements antiadhésifs sans PFAS… Et aussi limiter l’exposition des populations aux pesticides en consommant du bio qui doit être favorisé par une politique nationale et européenne.

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