6 avril 2022
Intégrer les zones humides dans les PLUi
Les zones humides constituent un atout pour les territoires. Pour les protéger, les collectivités peuvent les intégrer dans leurs documents d’urbanisme. Cet article du Cerema paru dans TechniCités fait le point sur les leviers permettant d'intégrer la préservation des zones humides dans le Plan Local d'Urbanisme intercommunal.

logo techni citésComparativement à ses voisins européens, la France dispose d’un modèle d’aménagement du territoire très consommateur de foncier qui montre aujourd’hui ses limites, tant sociétales qu’environnementales. Le plan biodiversité de 2018 s’est donné comme orientation le "zéro artificialisation nette" (ZAN) avec pour première étape l’objectif de diviser par deux le rythme d’étalement urbain d’ici dix ans à travers dix mesures phares.

Cette sobriété foncière guide aujourd’hui de nombreuses réflexions de planification et d’urbanisation. À ce titre, elle remet en lumière la disparition des zones humides qui émeut la communauté scientifique depuis plusieurs décennies. Ces dernières restent mal prises en compte et subissent toujours de multiples impacts malgré une réglementation de plus en plus exigeante. Après trois plans nationaux d’actions en leur faveur, ces milieux qui rendent de nombreux services (régulation de la qualité de l’eau, du débit des crues, débit d’étiage, etc.) restent encore au coeur des sujets de la ZAN et de la séquence "éviter, réduire, compenser" (démarche ERC).

 

Utiliser le levier de la planification

Les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) prescrivent d’ailleurs que les installations, ouvrages, travaux et aménagement (Iota) détériorant partiellement ou totalement des zones humides doivent s’accompagner de mesures compensatoires qui restaurent, réhabilitent ou créent des zones humides équivalentes sur le plan des fonctions. Ils prévoient même, de manière générale, une compensation à hauteur de 100 % si les zones humides compensatoires rendent des fonctions équivalentes à celles des zones humides détruites, pouvant aller jusqu’à 200 % dans le cas contraire.

Ainsi, comme le rapporte Pierre Caessteker, chargé de mission zones humides & marais à l’OFB, lors du webinaire CNFPT "Des zones humides pour les villes de demain" en décembre 2020, "il est cinq fois moins cher de préserver les zones humides existantes que de compenser la perte des services qu’elles nous rendent".

La protection et la valorisation des zones humides dans les plans locaux d’urbanisme communaux et intercommunaux (PLU et PLUi) sont à la croisée de plusieurs enjeux d’aménagement du territoire. En effet, ces milieux répondent non seulement aux problématiques liées au ruissellement urbain, à la pollution de l’eau et aux îlots de chaleur urbains mais également à la préservation de la biodiversité et à l’amélioration du cadre de vie (aménités paysagères, activités touristiques et récréatives, etc.).

Ainsi, en maîtrisant l’étalement urbain, en réglementant l’usage des sols et en limitant la consommation d’espaces naturels et agricoles, le plan local d’urbanisme est un outil qui permet à la collectivité d’agir en faveur des zones humides en élaborant un projet de territoire intégrant la préservation de ces milieux.

 

De quoi parle-t-on

Connaître pour mieux préserver

maraisLa première étape  indispensable à la bonne application de la démarche ERC est celle de l’inventaire des zones humides (et de leurs fonctions) lors du diagnostic du territoire. Mais il doit être complété par un inventaire plus précis, par des relevés de terrain, notamment dans les secteurs susceptibles d’accueillir des opérations d’aménagement afin de les transcrire sur une cartographie adaptée à l’échelle du document d’urbanisme.

Une dimension souvent négligée dans cette phase d’inventaire est celle de la caractérisation de la zone contributive de la zone humide et celle de l’identification des fonctions qu’elle rend (par exemple vis-à-vis des territoires à l’aval hydraulique lorsque ces zones humides concourent au ralentissement des inondations).

En effet, il n’est pas suffisant de préserver une zone humide si l’intégralité de sa zone contributive (ou bassin-versant) est impactée. La zone humide, non alimentée en eau, s’asséchera à moyen terme. De plus, lorsqu’une zone humide dysfonctionne sur le plan hydrologique, le risque d’inondation des territoires avait pu être aggravé.

Il convient ainsi d’être particulièrement vigilant quant :

  • aux méthodes d’inventaires [1] utilisées,
  • à la caractérisation des fonctions qu’elles rendent,
  • à la mise à jour des données,
  • aux échelles de cartographie des zones humides utilisées dans les bases de données consultées
  • l’utilisation de ces données à une échelle locale.

Les élus, à travers l’élaboration du PLUi, ont l’opportunité de fixer des objectifs ambitieux de préservation des zones humides en conformité avec leurs choix d’aménagement du territoire et une gestion économe et durable de l’espace.

 

Opérationnellement, la déclinaison de l’objectif de préservation des zones humides se traduit dans plusieurs pièces qui composent un PLUi : rapport de présentation, projet d’aménagement et de développement durable (PADD), pièces écrites et graphiques, orientations d’aménagement et de programmation (OAP), dont la cohérence doit être assurée.

 

Afin d’atteindre les objectifs de préservation des zones humides au sein des documents de planification urbaine, il est présenté ci-après des recommandations de prise en compte des zones humides au sein de chaque pièce composant un PLUi :

 

Le rapport de présentation

Les résultats de l’inventaire des zones humides, leur localisation et leur hiérarchisation en matière de fonctionnalités sont à insérer dans l’état initial de l’environnement. La réalisation éventuelle d’inventaires de terrain se fera de manière préférentielle dans les secteurs susceptibles d’être ouverts à l’urbanisation (principe de proportionnalité).

Il est important de justifier et détailler les méthodes d’inventaires retenues et renseigner les sources des données bibliographiques. Une justification argumentée de la compatibilité du PLUi avec les documents de normes supérieures (Scot, SRCE, Sdage, Sage en l’absence de Scot) doit y être présentée ainsi qu’une analyse des incidences notables du PLUi sur les zones humides et les mesures pour les éviter puis les réduire voire les compenser sur les trois volets de la compensation : espèces, milieux et fonctions.

Par ailleurs, il convient de définir des indicateurs pertinents, sensibles aux orientations retenues, fiables et mesurables de façon pérenne (exemple : évolution de la surface des zones humides, de leurs zones contributives).

Nantes Métropole recense ses zones humides

Nantes Métropole recense ses zones humides
© Nantes Métropole

Plusieurs démarches d’inventaires des zones humides ont été menées à Nantes Métropole (Loire-Atlantique). Une première démarche conduite entre 2010 et 2013 a permis de recenser les zones humides sur l’ensemble du territoire. Des inventaires complémentaires ont été menés en 2015 dans le cadre de l’évaluation environnementale du plan local d’urbanisme métropolitain, sur vingt-cinq sites susceptibles d’accueillir des projets de développement urbain.

Les inventaires complémentaires répondent à la définition des zones humides telle que considérée dans l’arrêt du Conseil d’État du 22 février 2017. Les zones humides inventoriées comprennent à la fois des zones humides au sens réglementaire (zones humides boisées, prairies humides, etc.) mais également des milieux humides (étangs, mares, espaces humides artificialisés tels que certains bassins de rétention, carrières en eau, etc.). D’autres travaux se poursuivent en collaboration avec le Cerema autour de leurs fonctions.

Le Projet d'Aménagement et de Développement Durable 

Le Projet d'Aménagement et de Développement Durable (PADD) doit fixer des orientations spécifiques aux zones humides qui permettront de préserver ces milieux, ainsi que leur zone contributive. Il peut être utile de réaliser une cartographie montrant la stratégie de conservation et de gestion durable des zones humides à l’échelle du territoire et de faire le lien avec les orientations générales des autres thématiques développées (urbanisme, équipements, risques, alimentation en eau des populations…).

 

Les orientations d'aménagement et de programmation de secteur ou thématiques

Au sein du plan local d’urbanisme (PLU, PLUi), les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) expriment de manière qualitative les ambitions et la stratégie d’une collectivité territoriale en termes d’aménagement. Elles visent à définir des intentions et orientations d’aménagement qui peuvent porter sur un secteur donné du territoire (OAP de secteurs) ou avoir une approche plus globale sur un enjeu spécifique (OAP dites "thématiques").

Ainsi, il est possible de proposer des dispositions qui permettent d’intégrer pleinement la zone humide au projet d’aménagement en évitant toute construction sur la zone humide délimitée et son environnement proche. En effet, le projet doit permettre de préserver les fonctionnalités et la continuité de la zone humide (y compris sa zone contributive). Enfin, une OAP thématique sur les zones humides et/ou sur les réservoirs de biodiversité et les corridors écologiques peut être proposée.

 

Le règlement et le plan de zonage

Un soin tout particulier doit être porté à ces deux documents. Ainsi, un zonage adapté sera utilisé pour identifier clairement la présence de zones humides. Le règlement adoptera des règles strictes en matière de préservation des zones humides, par exemple l’interdiction de tous travaux affectant le fonctionnement et les caractéristiques de la zone humide : construction, exhaussement, affouillement, etc.

Pour cela, deux outils de préservation existent. Pour les zones humides de taille réduite, modérée et morcelées, leur protection peut se faire au titre de l’article L.151-23 du code de l’urbanisme (éléments de paysage).

zonage
Le plan de zonage du PLU de Porge, en
Gironde, indique grâce à un surzonage indicé "Nzh" les secteurs à forte sensibilité
environnementale, ici des zones humides.

Pour les zones humides étendues ou remplissant des fonctions majeures à l’échelle du territoire, il est préférable de définir un secteur avec une réglementation spécifique pour les protéger et les valoriser (Nzh). Ainsi, sur la commune du Porge (Gironde), les constructions et aménagements sont interdits sur ces zones. Seuls des aménagements légers (nécessaires à la gestion du site ou pour raisons d’accès) sont autorisés à condition que leur localisation et leur aspect ne dénaturent pas le caractère des sites, ne compromettent pas leur qualité architecturale et paysagère et ne porte pas atteinte à la préservation des milieux.

Par ailleurs, il peut être utile de prévoir des emplacements réservés et des servitudes d’utilité publique pour localiser les sites et secteurs à protéger pour des motifs d’ordre écologique et définir les prescriptions de nature à assurer leur préservation.

Enfin, d’autres dispositifs peuvent être mobilisés comme le "coefficient de biotope" par surface afin d’imposer une part minimale de surfaces non imperméabilisées ou "éco-aménageables" pour préserver au maximum le cycle naturel de l’eau et contribuer au maintien des équilibres associés notamment hydrologiques favorables à la préservation des zones humides et de leurs fonctions.

 

L’essentiel

zone humide

  • Les différentes pièces du PLU/PLUi doivent être cohérentes entre elles.
  • Veiller à une bonne retranscription  de l’inventaire des zones humides cartographié et de ses fonctions dans le rapport de présentation, dans les OAP sectorielles et le règlement.
  • Si un enjeu zone humide est identifié au sein d’une OAP sectorielle, informer l’aménageur des obligations réglementaires, de la séquence ERC et des obligations du Sdage.

 

 

 

Par Virginie Billon, adjointe au chef de groupe Environnement du département des transitions territoriales, Cerema Centre-Est, avec le concours de Marc Meyer (Cerema Centre-Est), Vanessa Rauel (Cerema Sud-Ouest) et Damien Carat (Cerema Ile-de-France).


[1] La circulaire du 18 janvier 2010 relative à la délimitation des zones humides (en application des articles L.214-7-1 et R.211-108 du code de l’environnement) indique que "Les investigations de terrain doivent être réalisées à une période de l’année permettant l’acquisition d’informations fiables : pour l’examen du sol, la fin de l’hiver et le début du printemps sont des périodes idéales pour constater sur le terrain la réalité des excès d’eau ; l’observation des traits d’hydromorphie peut être réalisée toute l’année ; pour la végétation, la période incluant la floraison des principales espèces est à privilégier".